Quel est l’impact de la pêche de loisir et de la pêche professionnelle sur les espèces côtières ?

Postée le 12 juillet 2016 par Maud

Une réponse de Loic Antoine et de Patrick Berthou, spécialistes des ressources halieutiques.

En général on qualifie de côtières les espèces qui vivent toute leur vie sur le plateau continental entre 0 et 200 m, par opposition aux espèces profondes (au­-delà de 200 m de profondeur, jusqu’à 2000 m pour la pêche).
La pêche côtière telle que définie par la Direction des pêches est celle qui s’exerce dans la bande des 12 milles (http://sih.ifremer.fr/) Telle que la question est posée, il faut entendre « côtière » comme proche de la côte, c’est à dire, pour donner une limite administrative, la bande de 3 milles : celle qui qui s’étend de la basse mer jusqu’à 5,5 km (3 milles) au large. Cette bande des 3 milles est en principe interdite à la pêche professionnelle au chalut , mais il existe de nombreuses dérogations qui permet l’entrée des pêcheurs professionnels. Elle est autorisée pour les autres engins (drague à coquillages, senne à sardine, casiers à seiche ou à crustacés, pêche à la civelle, etc.)

La notion d’espèce côtière est toute relative. Il peut y avoir des espèces qui sont côtières durant l’essentiel de leur vie, comme les différentes espèces de vieille, la truite de mer, le bar, l’araignée de mer (encore que le bar et l’araignée sortent saisonnièrement de la zone des 3 milles au cours de leur vie), la crevette bouquet ou la crevette grise, les coquillages tels que la palourde grise, la coque, la praire. D’autres espèces passent une partie de leur vie très proche de la côte, essentiellement dans les premiers stades de leur vie puis migrent vers le large et des eaux plus profondes. C’est le cas de la plupart des espèces de poissons plats : la plie, la sole, le turbot, la barbue, mais aussi le lieu jaune, la morue. La raison en est que ces espèces de poissons trouvent dans les estuaires, les rias et le long de plages côtières ou dans les lagunes les meilleures conditions pour se développer : une température plus élevée, de la nourriture en abondance et des proies à la taille de leur bouche (plancton végétal ou animal). Après ces stades juvéniles, les jeunes poissons migrent vers le large pour trouver leur nourriture, les proies changeant en fonction de leur taille.

Quels sont les impacts de la pêche professionnelle et de la pêche de loisir sur ces espèces côtières ?

On se référera, pour la pêche professionnelle, à la synthèse des flottilles de pêche de l’Ifremer. Il y a en France 4500 navires de pêche professionnelle, 1800 d’entre eux (soit 40%) mesurent moins de 10 m de long et exercent leur effort de pêche en­-deçà des 12 M. En Bretagne par exemple, il y a près de 1000 navires de moins de 12 m qui exercent plus de 95% de leur activité entre 3 M et 12 M. tous les métiers sont représentés dans cette activité, du chalut à la palangre en passant par le filet, la drague et le casier. Les incursions à l’intérieur des 3 M, autorisées par dérogation ou frauduleuses, sont loin d’être rares.

La pêche de loisir est difficile à cerner, car elle ne fait pas l’objet de statistiques précises, même dans des secteurs bien réglementés comme le Parc marin d’Iroise. Il est clair que les bateaux de plaisance sont nombreux, et que ceux qui exercent la pêche de loisir en mer participent de manière significative au prélèvement de la ressource halieutique[1]. Mais la seule espèce ayant donné lieu à une étude approfondie est le bar. Cette étude par sondage a montré que le prélèvement de la pêche de loisir sur le bar (environ 4000 t) pourrait dépasser la pêche professionnelle (environ 5000 t) selon qu’on choisit pour la pêche de loisir l’hypothèse haute (6000 t) ou basse (1000 t)[2].

La pêche de loisir est essentiellement côtière, et selon l’étude de l’Ifremer prélèverait de l’ordre de 20 000 t par an. La « pêche fraîche » professionnelle, qui couvre aussi la pêche au large exercée par les chalutiers de 18 à 25 m, produit 310 000 t annuelles. La pêche de loisir représente donc 6% du prélèvement total.

Au­-delà de l’approche quantitative, peu satisfaisante du fait de l’imprécision sur la pêche de loisir, il y a un effet certain de la pêche professionnelle sur les espèces côtières, en particulier du fait de l’usage d’engins qui modifient fortement les fonds comme les chaluts ou les dragues, et que n’utilisent pas les pêcheurs de loisir. Ces engins sont particulièrement nocifs lorsqu’ils sont utilisés frauduleusement dans les zones qui leur sont interdites.

Les efforts faits par les pêcheurs professionnels, qui ont pris conscience des impacts de leur activité sur le milieu, sont une raison d’être optimiste sur la protection des milieux sensibles. L’accroissement de la réglementation sur la pêche de loisir et la sensibilisation des pêcheurs de loisir à la protection de la ressource vont également dans le bon sens.

La pollution du milieu côtier reste cependant une autre préoccupation. La prolifération des algues vertes dans certaines baies du fait des apports excessifs de nitrate par l’agriculture, les rejets urbains ou industriels, les grands travaux côtiers, la réduction des zones humides, etc. représentent aussi un danger pour les espèces côtières ou passant le début de leur vie à proximité des rivages.

Notes :
[1] http://sih.ifremer.fr/Description­des­donnees/Les­donnees­collectees/Peche­recreative
[2] Cette espèce est devenue une production d’élevage importante, puisque les pays de Méditerranée produirait de l’ordre de 50 000 t de bar d’élevage.